Amorada
Amorada des Dieux à 4 mois

Philosophie de Cavallero d'Oro

Matéo devant l'étang de Château Trô, 15 juillet 2017

Le spectacle équestre connaît un essor fulgurant, y compris en Bretagne. De nombreuses troupes professionnelles ou d’amateurs explorent des voies peu connues jusqu’à présent au Nord de la Loire. C’est l’originalité de la création qui m’attire. On peut voir actuellement de très belles choses. Le niveau est de plus en plus élevé, avec de très grands dresseurs. Mais on peut voir aussi assez facilement un tournoi de chevalerie qui ressemble à quelque chose près à un autre d’une cité médiévale à une autre. Les voltigeurs rivalisent quasiment toujours des mêmes prouesses. Les carrousels se déroulent dans le même leitmotiv sans surprise et les démonstrations de dressage exhibent sans cesse les mêmes figures que l’on peut apprécier selon la rigueur de leur exécution sachant qu’il faut absolument qu’elle soit reconnaissable et techniquement proche de la perfection. Parfois, une certaine monotonie s’installe dans ce genre de démonstration où même le costume ne change pas.
Sans renier la qualité de tout ce qui précède ni l’intérêt que peut susciter ce conservatisme de la grande tradition équestre, la voie que je compte prendre est autre. Je voudrais raconter quelque chose avec le cheval, jouer sur la symbiose de l’animal avec le lieu où il se met en scène.
Le théâtre du Centaure, Zingaro, Cheval Rouge, Equ’arts, Piéric, Naïché Teyssier font cela. La technique est à la base de tout l’art équestre mais il faut la sublimer, et, avec tout l’amour pour son cheval, montrer ce qu’il aime le mieux faire à sa façon, et non prioritairement selon les codes. L’important c’est l’expression, pas l’imitation. Faire passer une émotion avec un cheval complice en surprenant le public et non en lui présentant quelque chose à laquelle il s’attend parce qu’il l’a déjà vue.
Dans un spectacle, un seul cavalier peut difficilement occuper la scène plus de quelques minutes. Souvent, plusieurs cavaliers s’associent. Mais en mêlant plusieurs moyens d’expression on aboutit forcément à une création originale et inédite. Le théâtre, la musique, la danse, les arts de la rue constituent un vivier de talents dont certains ne demandent pas mieux que de s’ouvrir eux aussi à d’autres champs.
Quant aux tonalités des créations, le fantastique légendaire recèle un pouvoir d’enchantement inépuisable et propice à la mise en scène dans de nombreux sites de ce pays de Brocéliande où nous avons la chance d’habiter. Un ancrage celtique peut s’avérer intéressant en liaison avec un site ou une histoire. D’autre part, avec Quandelloro, poney des îles Shetland, la piste d’une création écossaise me tente particulièrement. Vous trouverez également dans ce site tout un vivier d’inspiration littéraire et artistique sous le titre « chevauchées fantastiques ». Bartabas n’est pas le seul à puiser ses idées de spectacle dans ce corpus, comme Calacas en témoigne encore actuellement en remontant à l’ancienne croyance du cheval psychopompe.
Le choix de l’équitation ibérique est moins atypique dans le monde du spectacle équestre où ces chevaux brillent naturellement de par leurs aptitudes. Cette forme d’équitation recèle beaucoup d’élégance. Dans les costumes andalous la fantaisie et la couleur peuvent s’inviter au même titre qu’une garrocha, qui, maniée habilement, met en valeur la grâce du couple cheval et cavalier. L’évocation d’un tableau de cette péninsule ensoleillée plait souvent au public et se rencontre de plus en plus dans l’Ouest breton où il semble que le cheval espagnol et lusitanien s’implante de mieux en mieux. Matéo ayant toutes les qualités d’un ibérique, cette voie est toute tracée.
Et pourquoi le baroque ? Durant cette période faste des XVIIè-XVIIIè siècle, l’équitation a atteint son point culminant dans les manèges royaux alors que le cheval ibérique était privilégié des rois. Evoquer cette époque fait resurgir des costumes de marquis et de marquises à l’instar de ceux du Carnaval de Venise qui rivalisent de richesse et de fantaisie. Ajoutez un masque et le mystère s’installe. On regarde le cheval, sans s’arrêter à l’expression figée du cavalier. De plus en plus de créations baroques s’immiscent dans les spectacles équestres du grand Ouest : Roland Bossard, Tsaatan, Jean Papin… Il ne manque plus qu’un château dans le style de celui de Versailles pour les accueillir…

Bosquet des bains d'Apollon à Versailles. Chevaux de Gilles Guérin, 1675.
Bosquet des bains d'Apollon à Versailles. Chevaux de Gilles Guérin, 1675.

Que Cavallero d'Oro souhaite emprunter des chemins de traverse ne rimera pas forcément avec grandiloquence. Nombre de cavaliers émérites seront plus charmés par des prouesses purement équestres savamment exécutées. Mais que l'on songe un instant au regard d'un enfant. Il rêve de posséder un animal aussi fier que puissant. Il sera sensible à la complicité qu'il aura avec l'homme dans des gestes plus simples ou plus proches de son quotidien. Le cheval a faim : il aimera le voir déguster une carotte ou la rechercher à l'instar d'Arnaud Gillette qui sait en jouer en parfait humoriste ; il comprendra mieux un astucieux coup de museau pour ouvrir un coffre qu'un appuyer interminable.

 

Une chose m'intrigue souvent dans les spectacles équestres : pourquoi s'évertuer à juxtaposer des tableaux qui n'ont parfois aucun lien entre eux ou avec le fil conducteur de l'histoire ? Pourquoi doit-on se contenter de plaquer une prouesse équestre sur une autre ou une voix off sur un espace scénique vide racontant quelque-chose que le cheval "acteur" serait en mesure d'exprimer ou seul ou avec la complicité d'autres acteurs humains ?

D'où la nécessité de conjuguer les talents et de s'ouvrir aux autres modes d'expression, comme on le voit de plus en plus avec les jongleurs et les acrobates, les cracheurs de feu ou les échassiers qui mêlent leur grande dextérité aux risques que prennent parfois les cavaliers. Les talents sont multiples. Une voix, un corps, des sons, la maîtrise d'un objet, la connivence avec un animal... Le tout devant s'unir pour créer du vivant avec du sens sur une histoire entière et non du vivant qui s'enlise dans de la narration off ou fractionnée.

Matéo rafraîchi et détendu après un bon shampoing
Matéo rafraîchi et détendu après un bon shampoing

 

Et l'amour dans tout cela ?

 

On pourrait méditer longuement sur ces citations du maître portugais Nuno Oliveira qui se rappelait lui-même celle du capitaine Beudant : "Demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup" :

"Ne jamais exiger du cheval plus que ce pour quoi il est prêt."

"On peut considérer comme dressé un cheval qui a été soumis à une gymnastique progressive et méthodique, sans hâte, qui s'est livré sans lutte, qui s'est convaincu qu'on ne cherchait à exiger de lui que des mouvements et attitudes qui ne lui demandaient pas d'effort, et qui travaille finalement par persuasion, par plaisir, et non en étant apeuré et abruti."

S'il devait y avoir un livre équestre à suivre absolument avant de sortir un cheval en spectacle ou en compétition, ce serait les Oeuvres complètes de Nuno Oliveira.

Cet écuyer considéré comme le plus grand du XXè siècle explique qu'il n'y a pas d'art sans amour et respect de son cheval.

 

Il est désolant de rencontrer des troupes qui exigent trop de leur cheval insuffisamment ou prématurément, voire brutalement préparé pour les démonstrations publiques basées sur la rentabilité et l'orgueil. Quelle tristesse de voir souffrir un animal pour des applaudissements non mérités et de savoir sa carrière fortement écourtée par des figures demandées trop tôt ou trop durement.

 

L'humilité et la patience, la douceur et la complicité, le respect et le bien-être du cheval avant tout. La beauté naît de cela et non de la contrainte ou de la brutalité.